dimanche 4 novembre 2007

Cher G.

Cher G.

Il y a presque un an, tu me demandais, perplexe, pourquoi diable lisais-je autant de romans ? Qué cojones y trouvais-je précisément ? Et moi, tout aussi perplexe, de te répondre que je n’en savais fichtre rien mais que j’y penserais. Quelques semaines plus tard, dans un bar de Bruxelles, nous en avons reparlé. Je crois me souvenir de t’avoir alors fait part de mes difficultés à trouver ne serait-ce que le moindre bout de réponse. Je me disais que me mettre devant un page blanche pour l’écrire plutôt que le dire débloquerait peut-être quelque chose, me mettrait sur la piste, m’ordonnerait les idées. Et je t’ai alors promis un texte dans les semaines qui allaient suivre.

J’ai terminé le papier la première semaine de mai. L’idée était de le mettre en ligne sur Tabula Rasa. Ce ne sera jamais le cas. Il n’y a pas de réponses, que des pistes. En soit, ça peut être intéressant, le problème est ailleurs : j’ai été incapable de vraiment le finir. Je devrais plutôt dire : je l’ai lamentablement fini, car c’est la vérité. La conclusion est nulle et je ne veux pas publier ça. Je ne peux pas la réécrire non plus, je n’ai pas la force : le jeu n’en vaut pas la chandelle, la question, finalement, ne me perturbe pas assez. Par contre, tenter de répondre à tes interrogations m’a remis en tête une anecdote révélatrice (peut-être) de mon enfance. Un épiphanie – je sais, tu n’aimes pas Joyce-, une madeleine –je sais, tu n’aimes pas Proust- qui m’a conduit à écrire sur trois pages ce qui se serait passé ce jour-là. Rien que pour ça, je te dois tes remerciements. Auto-fission est l’espace parfait pour auto-publier ce genre de choses.

Il y a un mois, tu me disais, je cite, « plutôt que de maculer ses doigts d'encre fraîche, ne serait-il pas temps de passer aux choses sérieuses ? » A ce jour, je n’ai toujours aucune idée de ce que tu entends par « choses sérieuses » et je continue à me maculer les doigts d’encre avec une très grande allégresse. Il ne faudrait pourtant pas croire que ton absconse remarque ne me trotte pas dans la tête. Elle est, en vérité, l’élément qui m’a convaincu d’ouvrir ce blog après de longs atermoiements. C’est une idée qui me travaillait, et je ne sais toujours pas, maintenant que j’ai sauté le pas, si elle est bonne. Quoiqu’il en soit, je te dois d’autres remerciements. Si je pouvais mettre une dédicace, ce serait « à G. » bien qu’il m’étonnerait que tu trouves ici quoique ce soit qui te plaira.

Mais voilà que je me rends compte que je n’ai même pas dit clairement ce que je comptais faire de cet espace. Comme tu le sais, nous en avons déjà parlé il y a bien deux ans dans un restaurant chilien, il m’arrive d’écrire, comme ça, en dilettante. Je peux passer six mois sans m’y mettre ou me retrouver dans un état de fébrilité scripturale durant un week-end. Depuis quelques temps, je me disais qu’il me fallait une motivation pour écrire plus régulièrement. C’est à ça que doit servir auto-fission : abriter toutes ces choses que je fais aussi mais qui ne trouveraient pas leur place sur Tabula Rasa et m’encourager à me mettre au boulot pour faire vivre le blog avec, tout de même, une certaine régularité. A moi, maintenant, de ne pas laisser le truc devenir une coquille vide de plus. Pour éviter ce funeste sort, tout est possible. J’ai des textes anciens qui, éventuellement, pourraient être sauvés. J’ai trois (ou quatre, je ne sais plus) projets sérieux qui me tournent sans cesse dans la tête, sans me convaincre de vraiment m’y mettre. C’est l’occasion. J’espère aussi l’aide de lecteurs – si j’en trouve de fidèles – qui peuvent toujours suggérer l’un ou l’autre exercice, l’un ou l’autre thème.

J’attends de voir ce que ça donnera mais, pour le moment, je suis toujours obligé de miser sur l’échec total. Pour ne pas tomber de trop haut. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a fait tant tarder. L’autre, et j’ai un peu honte de l’admettre, est la peur de décevoir ce qui sera mon lectorat initial. J’imagine en effet que les premiers qui découvriront ce blog sont les lecteurs réguliers de Tabula Rasa, notamment certains de mes collègues et compères, et surtout ceux qui, parmi eux, écrivent aussi et publient le fruit de leurs délires ici ou là. Je pense à un autre G., à P., à O., à C., à A., à T., à L., à U. Ces gens-là, vois-tu, font ce qu’ils font très bien, mais en plus je retrouve dans leurs mots, dans leur rythme, dans leurs jeux, un peu de ce qui fait la beauté des auteurs que nous aimons ensemble. Ils pourraient s’attendre à retrouver le même genre de chose ici, passer à mon moulin personnel. Ils pourraient s’attendre à un peu d’aventure, un peu de jeu, de drôles de phrases. Et pourtant, F. le lecteur et F. l’écrivant ne sont pas tout à fait les mêmes personnes. Je me cantonne, j’en ai bien peur, à un certain classicisme bien peu original. Le risque de ne pas intéresser ceux qui sont le plus susceptibles de passer le mot est donc bien là et m’aura longtemps empêcher de passer à l’acte. Je sais, c’est idiot, et un esprit aussi fort que le tien ne ce serait pas bloqué là-dessus. Tu as raison, et c’est pour ça que je m’y mets.

Je vais m’arrêter ici et te laisser tranquille. J’espère que cette petite lettre te trouvera en forme et éveillera, à défaut de passion, un tant soit peu de bienveillance pour ce projet. Il me paraissait important de te signaler le rôle que tu y as joué. D’ailleurs, si tu le vois avant moi, remercie aussi notre ami B. qui, au printemps passé, m’avait enjoint à me bouger le cul. Il m’avait même, à moitié sérieusement, suggéré de lui écrire un monologue pour son cours de théâtre. Je n’en avais, cela va sans dire, rien fait.

Bien à toi,

François

PS : le nom du blog ? Ne pas lui donner plus de sens qu’à Tabula Rasa.

10 commentaires:

Thibault Malfoy a dit…

J'ai eu un temps aussi l'idée d'un blog similaire, mais je suis décidément trop pudique et/ou trop paresseux pour l'avoir concrétisée. Il n'empêche que je serai là pour donner les coups de pied au cul nécessaires ! ;)

Anonyme a dit…

Cher G.,

A quoi bon lire et écrire ? Je comprends le désarroi de Fausto pour te répondre. Je me permets ici d'apporter un élément de réponse possible.
Tout d'abord, sache que je suis tout à fait d'accord avec toi : lire et écrire ne sont guère des choses sérieuses. Mais qu'entends-tu par "passer aux choses sérieuses" ? Quelles sont ces "choses sérieuses" ? Le travail ? La famille ? C'est vrai, ce sont des choses bien sérieuses. Participer au bon fonctionnement du monde, gagner un bon salaire, voir autour de soi nos enfants s'épanouir sont des choses bien plus importantes que de lire et/ou écrire. Reste à savoir pourquoi ce sont des choses sérieuses ? Et quand bien même s'en seraient, qu'est-ce qui permet de valoriser le sérieux ?
Quelle va être ta vie ? Tu vas rencontrer des gens, quelques-uns seulement – et si tu as de la chance - seront réellement intéressants, c'est-à-dire seront des personnes qui ont quelque chose à dire. Tu vas t'investir dans ton travail, construire une belle famille et puis, ton devoir fait, tu vas mourir, comme chacun. En fait, tu vas survivre encore un peu, dans la mémoire de ceux qui t'ont aimé, et puis, au bout de quelques dizaines d'années, personne ne se souviendra plus de toi. Tu auras mené une vie sérieuse qui ne laissera aucune trace et le monde continuera sa marche comme si tu n'avais jamais existé, comme ces milliards d'anonymes qui ont contribué à sa plus ou moins bonne marche.
Alors pourquoi lire (je restreins mon propos) ? Parce que, quitte à vivre, autant fréquenter les gens les plus intéressants qui ont fréquenté notre planète. As-tu déjà vu une bibliothèque ? Bien sûr. Mais qu'elle soit ordonnée ou désordonnée, sache, qu'une bibliothèque contient la substance de l'humanité, tous les gens qui, que l'on soit ou non d'accord avec eux, peu importe, avaient quelque chose à dire et qui l'ont bien dit. C'est pour cette raison qu'ils ont accédé à la postérité. Plutôt que de parler foot, météo, politique, boulot avec ton collègue de bureau, tu peux, en prenant un livre avoir des discussions d'un tout autre genre avec un gars, parfois encore vivant, parfois mort depuis des millénaires (songe qu'on lit Homère depuis près de 3000 ans !). Avec un écrivain, tu n'es plus dans le bavardage, dans la répétition, dans l'actualité, tu es en présence d'un dire authentique. Et il ne s'agit pas d'un monologue, car lorsque tu lis Flaubert, par exemple, tu le ressuscites, il te parle et ça te parle. Alors, vois-tu, fréquenter les écrivains n'est certes pas sérieux (celui qui lit ne fait rien d'autre, il se retranche du monde), mais c'est tellement bon et tellement plus intéressant que d'agir !
Je crains qu'il n'y ait que deux choix fondamentaux à faire dans la vie : participer à la vie ou tenter de la comprendre, de la réfléchir, mais cela exige une non-participation. C'est sans doute ce que voulais dire Pessoa lorsqu'il écrivait : "Je pense donc je ne suis pas."
De ton point de vue, cher G., tu as entièrement raison et je ne cherche pas à te convaincre. D'ailleurs, du point de vue d'un lecteur, je n'ai pas forcément raison non plus (et je m'en fous) ; mon raisonnementuscule étant naïvement romantique. En fait, je t'ai écris pour savoir ce qu'en gros je pensais de tout cela.
Amicalement,

Bartleby

g@rp a dit…

Classiques ou bons (ou mauvais) mots, tout est bon à prendre.
Tu lis éclectique, ça transpirera forcément.
Regarde ce qu'a pondu A. On y trouve de petits fragments des auteurs qu'il apprécie. Pas des phrases entières, non , disons plutôt un "air de", qui s'efface aussitôt.
Alors je te le dis haut et fort, fais table rase de tes appréhensions.
Et fais-toi lire.
Nous sommes tous doubles.
Certains sont même triples - c'est dire !
Allez, Fausto !

Anonyme a dit…

Qui ne tente rien...

Pedro Babel a dit…

Voilà un superbe et prometteur portico : quelle que soit la nef imagée qui se déploiera derrière ses arcatures, elle recevra notre entière et indéfectible attention, avec comme il se doit une amicale exigeance et une implacable bienveillance.

Anonyme a dit…

Bartleby,
L'art est le point focal de ma vie, et l'écriture ma passion ainsi que - par un effort de la volonté - ma source de revenu. Donc ton intervention est à côté de la plaque, mais ce n'est pas grave.

Cher François,
D'abord, j'enlèverais le nom de famille parce que Dieu sait ce qu'un futur employeur - forcément mesquin - pensera de tes selles.

Ensuite, je te souhaite beaucoup de discipline, de courage et de persévérance. Il en faut, pendant plusieurs années.

Enfin, je te remercie pour le mot. Par ailleurs, je ne donnerai mon avis que s'il est constructif. Et j'espère que dans cette éventualité, tu ne m'en tiendras pas rigueur.

Lazare Bruyant a dit…

Elle est fantastique cette fin d'année où tout le monde dévoile un peu de son jeu... & Auto-Fission une nouvelle merveille pour y affiner notre curiosité, notre soif de mots & notre passion de l'écrit. Je pense que les lecteurs attentifs & attentionés de Tabula Rasa seront ravis de découvrir un Fausto différent, créateur, prenant des risques (ah! le regard des autres sur ce qu'on a de plus intime). Ils seront d'autant plus ravis que l'une de leurs caractéristiques est la curiosité intellectuelle. Partant de là, il n'y a pas de frontières aux lectures, ni au style d'ailleurs. Quand je vois les lectures de chacun je trouve que c'est d'un éclectisme énooorme (& qui lit des mangas, de la SF, des polars, des livres jamais imprimés, des auteurs inconnus...)&, encore une fois, pas de frontières. Tes écrits, G@rp a complètement raison,suivront un chemin qui t'est propre avec, certainement, quelques touches qu'on reconnaitra... ou pas. Mais l'important n'est pas là, l'important est de s'exprimer, de créer un monde singulier avec un style personnel (qui soit "classique" ou "d'influences post-moderne" on s'en fout).
J'ai l'impression, en lisant toute la petite bande, véritable Fric-Frac Club électrique, qu'une sorte de mouvement littéraire (à usage personnel... pour le moment) est en train de voir le jour. Je dis ça en rigolant, quoique... Plus sérieusement, petit à petit, chacun de nous se tourne vers ce qui lui fait battre le coeur, le fait trembler. Il ne faut pas se voiler la face (quelle sublime expression usée jusqu'à la corde!), nous avons tous une envie de l'écrit & ce que je lis me dis que pas mal ont de quoi aller bien loin. Alors heureusement que le Fausto de Tabula n'est pas le même que celui d'Auto-Fission... la finalité est totalement différente. Mais vu l'intelligence qui transpire dans tes papiers, je serai d'avis pour parier un bon paquet sur la qualité de tes prochains textes. & puis il serait dommage de ne pas profiter des mirettes attentives & curieuses des lecteurs de Tabula Rasa. Comme il serait dommage pour nous de ne pas voir ce que tu as dans le poignet.
Bon courage & au boulot!

Olivier Lamm a dit…

cher françois, cher ami, cher héros, je suis intimement persuadé que tout ce qui va se passer, se dire ici aurait largement,légitimement eu sa place, son espace vital sur TR. ceci étant dit, je comprends à 100% l'intention et le doute, et je me contenterai donc de yeepeeier comme un dératé, ça fera juste plus de faustofrançois à lire le matin au petit déjeuner. longue vie!

g@rp a dit…

Ouaip ! odot a raison : une nouvelle lecture café/sucre de plus.
Vivement dimanche !
[là, certains se demandent : diantrefichtre ! Pourquoi donc dimanche ? Figurez-vous qu'il me semble avoir remarqué que les papiers du Fric-Frac Club électrique - comme si bien ditrouvé par lazare - s'envolent davantage via la toile le dimanche.
Fric-Frac Club électrique...
La première du Fric-Frac Club électrique...

g@rp a dit…

Il fallait bien entendu lire : la première règle du Fric-Frac Club électrique